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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/17

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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

relai du côté de Vendôme, à la queue d’une grosse charrette de roulier, moyennant une pièce de 24 sous. Il s’était prémuni de quoi manger, et il passa deux jours et deux nuits dans son cabas : ses quarante-huit heures de jour à faire des chiffres sur un vieux carnet de peau d’âne qu’il avait toujours en poche, et ses deux nuits sur un bas-côté de la grande route, en station devant des portes d’auberges, à l’enseigne de la Belle-Étoile.

Il y avait dans une vieille maison de Vendôme un vieux bourgeois nommé Godinot, qui passait pour le plus avare des hommes, et le Chevalier de Créquy n’avait pas manqué de se mettre en rapport avec lui. Il est à remarquer que tous les avares d’un même pays se connaissent toujours parfaitement, et souvent plus familièrement qu’on ne le suppose. Réciproquement, ils s’observent et se considèrent ; ils se visitent pour se condouloir ou se congratuler ; ils se conseillent, ils se dirigent, ils s’encouragent ; et c’est comme une sorte de congrégation. En arrivant, pour le début, l’un chez l’autre, avec un air de précaution modeste : — Monsieur, j’ai pensé que vous me permettriez de venir causer avec vous et vous consulter relativement à l’ordre et l’économie…… — Monsieur, vous avez trop de bonté : je n’ai rien à vous apprendre en fait d’arrangement ; il y a déjà long-temps que votre réputation de prudence et de sagesse est venue jusqu’à moi. On a remarqué que deux avares ne se parlent jamais sans employer toutes les formules d’estime et de considération les plus respectueuses, et je suppose que c’est en dédommagement des paroles de mépris ou des