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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/222

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SOUVENIRS

Madame de Saint-Paër (c’est le nom d’un fief de la principauté de Lamballe, et c’est ainsi qu’on appelait Geneviève), Mme de Saint-Paër avait commencé par se croire heureuse, et si l’amour le plus vrai pouvait procurer le bonheur parfait, elle en aurait pleinement joui ; mais comme toutes les choses de ce monde ont été disposées suivant un système d’ordre et d’arrangement général, on pourrait dire, il est dans la nature des choses qu’on n’en saurait intervertir l’ordre providentiel sans en éprouver et faire éprouver du malaise et des chagrins. Les arrangemens de M. le Duc de Penthièvre, la prudence du Prince de Lamballe, et les devoirs de sa position exigeaient souvent qu’il fût à Paris et à Versailles pendant sept ou huit jours, sans pouvoir venir à Clamart, ou qu’il n’y restât quelquefois que dix minutes. Mme de Saint-Paër écrivait tous les matins et souvent deux fois par jour à son mari, qui n’avait nul autre embarras que de recevoir ses lettres, attendu qu’elles arrivaient par la petite poste ; mais pour envoyer une lettre de M. le Prince de Lamballe à sa femme, il y avait tant de précautions à prendre et de mesures à garder, qu’il en résultait un embarras prodigieux. Une lettre mise à la poste de Paris n’arrivait alors dans la banlieue que le troisième jour. Il n’y avait dans toute la livrée de l’hôtel de Penthièvre qu’un seul domestique en qui M. de Lamballe eût assez de confiance pour oser l’envoyer à Clamart. Le frère de cet homme était valet de chambre de Mme de Saint-Paër, et pour éviter de leur part un jugement défavorable à l’honneur de cette jeune femme, M. de Lamballe avait