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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/32

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SOUVENIRS

voya chercher par un valet de ferme. Il finit par s’y rendre : il trouva toute cette honnête famille dans l’ignorance absolue de la mort de son chef, dont on n’attendait le retour que le surlendemain. On reçut M. le Curé comme on reçoit toujours un curé dans une métairie du Bas-Maine, à bras ouverts, avec une joie naïve, une cordialité respectueuse ; et la disposition de ces honnêtes gens faisait un tel contraste avec le triste secret dont le cœur de ce bon prêtre était oppressé, qu’il ne put retenir ses larmes et qu’il finit par éclater en sanglots. On ne manqua pas de l’interroger sur la cause d’une affliction si surprenante ; mais il ne répondit qu’en termes ambigus, et s’en retourna chez lui sans avoir pu manger de rien.

Picard avait un fils que j’avais laissé tirer pour la milice parce qu’il avait mauvaise tête : il était devenu soldat aux gardes-françaises ; et, pour le moment, il se trouvait en semestre à Fontenay. Quand il vit que son père n’arrivait point, il rumina sur les sanglots du pasteur : il se persuada que son père était mort et que M. le Curé ne l’ignorait pas. Il se rendit au presbytère afin de lui demander l’explication de ses gémissemens ; mais celui-ci, qui se reprochait déjà l’indiscrétion de sa conduite, évita de lui répondre et prétendit ne rien savoir, en lui faisant observer avec raison qu’il n’avait rien dit qui pût se rapporter à la disparition de René Picard. Le jeune homme insiste et n’en peut rien tirer ; mais pendant la nuit suivante il est agité par les rêves les plus sinistres. Il se lève et s’arme d’un pistolet : il va se poster à la porte du presbytère, et