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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/96

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SOUVENIRS

censure, à l’imprimerie royale, une assez belle personne qui lui dit, entre autres choses, qu’elle avait lu le Sopha, qu’elle éprouvait pour lui, M. Crébillon, l’auteur d’un si bel ouvrage et Censeur royal, un sentiment d’admiration, d’estime et d’amour insurmontable ; qu’elle arrivait d’Angleterre afin de le demander en mariage, et qu’elle était la fille aînée de Milord Halfort ; ce qui était l’exacte vérité sur tous les points[1].

Comme elle était fille majeure, elle devint Miladi Crébillon dans la quinzaine, et l’on ne s’est jamais aperçu qu’elle se soit repentie du choix qu’elle avait fait ; l’auteur du Sopha la rendit aussi parfaitement heureuse que peut l’être une Anglaise avec des révérences.

Il est résulté du Sopha, du mariage et des révérences une grande fille toute noire, qui vient d’épouser je ne sais quel autre Milord, à qui j’en fais mon compliment.

N’admirez-vous pas que l’effet d’un conte libertin, d’un misérable opuscule et d’un mauvais petit livre, ait été de faire épouser à son auteur une fille de distinction, et (pour le plus essentiel au bonheur et l’exigence de M. Crébillon,) une honnête fille, à la même époque où l’amant de Julie, le délicat, l’ar-

  1. L’éditeur de la Correspondance de Grimm, ainsi que plusieurs articles biographiques, lui donnent le nom de Strasford, et c’est une erreur. Elle s’appelait Lady Anna Black de Halfort, filte d’Éward Lord Halfort et de très honorable Susanna Russell. C’est ainsi qu’elle est qualifiée dans son acte de mariage.
    (Note de l’Éditeur.)