Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/19

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pouvais délibérément tracer noire sur fond blanc, noire sur fond vide.

C’est alors que je perdis ma virginité, essayai mes premières aventures, appris à faire l’amour, cela d’ailleurs fort banalement. Tout de même, je devins vite assez familier avec les femmes pour ne plus me trouver devant elles gêné de mon corps comme d’un bouquet à offrir. Je voulus renoncer à mes préoccupations antérieures que je m’étais mis à juger bien puériles et scolaires ; je fus le garçon semblable à tous les très jeunes garçons qui savent si mal s’avouer déçus ; or les gestes élémentaires ne m’ayant pas satisfait, j’éprouvai d’autres désirs ; j’en appelai certaines « tentations »; mais, craignant de n’y point trouver encore la fameuse extase, trop jeune pour imaginer dans le calme un bon code des voluptés, après quelques mois d’essais, je fis volte-face, parlai de renoncement. J’aimais toujours la compagnie des femmes ; j’aurais voulu plaire à toutes, mais je n’allais plus vers elles dans quelque intention brutalement voluptueuse. La courbe d’un geste, le mystère d’un parfum, un mot qui chantait au milieu d’une phrase, seuls me donnaient le goût de leur présence.

J’eus alors de charmantes amies. Rentré chez moi, si je pensais au regard de l’une d’elles, je ne savais même plus la couleur précise de ses yeux. Ni celle des miens d’ailleurs. Pourtant, je m’efforçais devant le miroir à la candeur des conscrits de basse Bretagne dont les calembours allègent tout mystère jusqu’à la transparence et laissent deviner certaines réalités difficiles et les liens qui les unissent entre elles : ainsi, par exemple, se révèle l’âge de la belle-mère du capitaine.