Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/20

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Je me rappelle un 14 juillet. Avant de regagner leur pays, des Américaines buvaient pour toute leur existence. Au petit jour, on espérait que les secrets essentiels allaient pouvoir se lire en toutes lettres. L’une visait des buts précaires avec des allumettes enflammées ; l’autre dansait, nue, vidait tous les verres, trépignait, jurait. Dans la rue, elle exigea l’unique taxi, défendit qu’on l’accompagnât et, debout sur la banquette, la bouche tordue par je ne sais quel désir supérieur aux forces humaines, devint plus belle encore de son mépris.

Était-elle une inconsciente impératrice ?

Cette autre ne sortait pas les nuits où l’on dansait sur les boulevards. Elle passait les heures à se parer. Sa chambre s’encombrait de robes, d’écharpes qu’elle aimait comme des serpents à charmer ; elle avait un joli nom et ne fardait jamais son visage pâle ; elle voulait que le témoignage des hommes l’aidât un peu les jours de doute ; aussi usait-elle de son accent tout comme M. de Talleyrand bégayait par diplomatie ; une femme mécanique eût mieux convenu à ma sensualité ; on disait qu’elle était sotte ; pourtant, je lui prêtai une grande intelligence, n’ayant point le courage de n’en point demander même aux plus beaux yeux.

J’espérais aller plus loin que son corps, et ma raison de la vouloir près de moi n’était pas la recherche de quelque exaltation. Tant qu’elle demeurait, je faisais effort pour oublier sa peau plus douce pourtant qu’ivoire à caresser, les paupières closes.

Un homme fort, suivant le goût du siècle, trousse les marquises et leurs chambrières, essaie des étrangères et