Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/26

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au bois de Boulogne un crime de la dernière atrocité. Un garçon de bonne famille en était la victime. Cette histoire éveilla l’attention de la police ; il s’ensuivit de nombreuses descentes dont l’une au beau milieu d’une fête orientale à laquelle participait le général.

Bien entendu, mon père ne fut pas directement inquiété ; mais les journaux de l’opposition firent un beau scandale et chantèrent pouille tant et si bien qu’il dut démissionner et renoncer à la cravate de commandeur, depuis longtemps promise.

Ma mère, assez lente à imaginer un vice, et d’autant plus sévère qu’elle se fatiguait sans parvenir à concrétiser, s’aperçut que le déshonneur était sur sa maison. Elle mit l’argenterie dans le coffre-fort, consigna sa porte, ne rendit plus de visites, foudroya celui qui n’avait pas eu de chance, voulut divorcer, n’en fit rien, se résigna par devoir à porter encore un nom souillé, devint neurasthénique, écrivit des lettres anonymes, en reçut et, un beau jour, finit par enjamber la barre d’appui.

On parla d’accident ; la sépulture chrétienne ne lui fut pas refusée.

Par de beaux arguments, le général voulut s’interdire le remords. Il essaya de me convaincre, prétendit me parler d’homme à homme, vanta sa tendresse pour la défunte, regretta qu’elle ne l’eût jamais compris.

D’un mot, je l’arrêtai. Il cligna de l’œil, m’offrit plusieurs boîtes de très bonnes cigarettes et une pension honorable. Il loua un entresol rue Notre-Dame-de-Lorette, s’encanailla comme le peuvent seuls les curés défroqués et les généraux sans étoile. Quand je l’allais voir, il ne se donnait