Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/27

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la peine d’aucun mensonge et disait simplement de ma mère (que je m’étais mis à nommer dans mon souvenir « ma pauvre maman ») : « Une citoyenne pas trop drôle, nom de Dieu, une femme comme toutes les femmes ; je préfère les Kabyles, au moins elles savent danser la danse du ventre. Regarde comme elles se remuent — et zou et zou et zou. » Je crois qu’à vrai dire, il dissipait mal ses remords et perdait même un peu la tête. Il me conseillait : « Amuse-toi, Daniel ; sois un diable et plus si tu peux, mais n’espère jamais amener une femme à la conscience. »

Il m’aimait à sa manière et se préoccupait de mon avenir. Aussi, lorsque nous nous quittions, déplorait-il toujours la stupide aventure qui l’avait empêché de me donner un père divisionnaire et commandeur.

Moi, j’avais trop souvent envie de pleurer comme un gosse.

Si je m’étais cru des principes moraux (« les bons principes qu’on a essayé de t’inculper », disait ma mère, confondant inculper avec inculquer, la Transylvanie avec la Pennsylvanie et même quelquefois Léonard de Vinci avec Vincent d’Indy), je les aurais spontanément réfutés pour absoudre un homme. Rien de plus facile, au reste, que de ne pas conclure à la culpabilité de mon père dont l’insouciance aux divers âges de sa vie avait été de l’entrain, de la bravoure, du dévergondage. Sans doute, aurais-je admiré une figure hautement criminelle et condamné ma mère qui avait eu le tort de représenter la tradition, de m’aimer avec tyrannie et de s’habiller sans goût. Hélas ! mon père n’était, lui, qu’un soldat mal dégagé des habitudes de certaines nuits d’Orient. Je le jugeais médiocre, ne valant guère la peine