Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/31

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pendule précisa les secondes tandis qu’une autre horlogerie battait de chaque coup de mon cœur.

Est-ce un rêve ? Les tramways ont crevé les murs, écrasent ma cervelle. Jessy doit être morte, morte de mon abandon. Je suis un criminel. J’essaie de chantonner pour couvrir une voix, mais la girl crie très fort, se fait mauvaise, me jette des injures par poignées ; elle met son masque sur mon visage ; il y a une glace devant moi ; je m’approche de cette glace jusqu’à baiser mes lèvres, des lèvres, ses lèvres, des lèvres en paquet violet, une petite mare de sang qui a gelé. Point n’est besoin de frotter l’une contre l’autre mes paumes pour susciter une odeur de cadavre, je ne peux cracher un goût d’hémorragie froide.

Le soir suivant, départ dans le sleeping, départ seul pour Paris. Du temps que j’étais petit garçon, les trains chantaient : « J’ai du bon tabac. » Au terminus des lits blancs, mon corps ne souffrait pas d’être seul dans la fleur de mes draps. Si les essieux geignent c’est qu’ils ont désappris le langage. Pourquoi n’avoir point su me résigner à ne plus les entendre ?

Je pris, au retour de ce voyage, une inscription à la faculté des Lettres et me mis à étudier la philosophie. On parlait beaucoup, alors, du professeur Dupont-Quentin et de ses théories sur la croyance. De ce professeur Dupont-Quentin, j’avais donc espéré certaine grandeur métaphysique ; or il m’apparut vieillard ennuyeux, pédagogue sans