Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/79

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Boldiroff fut de l’avis de sa femme. Comme tous les Russes il avait horreur du simple dévergondage et, sans y répugner de fait, lui préférait en principe les audaces métaphysiques.

Léila dans la crainte d’être appelée grue voulut menacer : « On verra bien où mènent de si beaux actes de foi », et conclut : « Scolastique, vous avez appris à vous habiller mais demeurez prude et pédante. »

Pour moi je trouvais inutile une discussion à bâtons rompus que n’excusait même point un sourire de marivaudage. Cyrille cherchait à clore le débat : « C’est à vous croire ivre, chère poétesse.

— Je suis ivre mais des caresses de mon amant », avoua-t-elle, pathétique. Le Slave perdit son regard dans je ne sais quelle brume. Les mots qu’il prononça ne purent qu’habiller mal le chant rauque de sa voix. « Vous n’êtes pourtant point du pays de Maupassant, Léila. Si vous êtes amoureuse comme vous le dites et comme j’aime à croire, j’espère que c’est avec mysticité. Je ne vous verrais plus si le frotti-frotta — c’est ainsi qu’une fille que je connus autrefois nommait le geste d’amour — devait vous suffire.

— Que vous importe ? » eus-je envie de répondre à Cyrille au nom de Léila, mais l’Hindoue ne m’en laissa point même le temps. « Vous m’ennuyez, Boldiroff ; vous êtes plus théoricien que le premier esthète de Montparnasse venu et me rappelez une de vos compatriotes qui découvrit un sens tragique à toutes choses, le jour que son propriétaire augmenta son loyer de cent cinquante francs.

— Je ne vois guère le rapport », maugréa Cyrille.

On vint annoncer que Madame était servie. À la salle à manger la