Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/82

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avantage ; car l’intelligence qu’elle montrait était toujours d’une espèce assez argotique. Une certaine faculté d’illusion, qui, aux yeux des mâles sans subtilité, fait passer pour menteuses les femmes, l’engageait à se croire un don poétique parce qu’elle avait le goût des jolies filles avec celui des hommes, et philosophe parce qu’elle ne s’embarrassait guère des scrupules les plus spontanés. En vérité, capable de tous excès, au sein même de ces excès, comme lorsqu’elle paraissait préoccupée de questions très graves et très générales, elle n’atteignait jamais à cette insouciance des profits terrestres qui fait le charme des libertins et la grandeur de quelques savants.

Je précisai donc Léila, sinon la vraie Léila, du moins la plus vraisemblable. Je n’étais guère à mon aise pour réfléchir, mais, d’elles-mêmes, comme si elles s’étaient trouvées transcrites sur des parchemins déroulés par l’effet de lois plus irréfutables que celles de la pesanteur, ses paroles avouaient leur sens caché, leur sens réel.

Dans l’esprit du conteur, l’intention du récit lui vaut seule de signifier quelque chose. Je crus saisir l’intention de Léila. L’histoire de ma famille n’était qu’un prétexte. Elle voulait s’imposer et c’est pourquoi elle usait de la recherche oratoire. Sans doute beaucoup ne comprendront-ils point qu’une femme décidée à plaire joue les Démosthène, mais si, pour l’ordinaire, les prétentions intellectuelles de l’hindoue m’étaient odieuses, il faut reconnaître que la coquetterie, ce soir-là, l’inspirait fort heureusement : elle parlait de mon père et de ma mère avec le ton d’un médecin décrivant son musée pathologique, et cela d’ailleurs quelques secondes après avoir