Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/89

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voix a de la fermeté, de l’arrogance presque et ordonne :

« Parlez. »

Elle use du sourire aussi facilement que les autres du fard, des mouches ; le visage en pleine lumière se recompose. Léila parle enfin.

« Quelle folie. Ce n’est pas un drame bourgeois et il ne s’agit plus de votre père, de Myriam, de Bruggle ou des autres, de scrupules moraux. Je vous ai annoncé mes fiançailles avec un prince, or ce prince s’appelle Boldiroff.

— Le mari de Cyrilla.

— Lui-même. »

Une brûlure aux lèvres me donne notion de ma stupeur. J’ai porté à ma bouche le bout allumé de ma cigarette. Je gémis un « oh ! » à peine perceptible, mais qui devient prétexte à rompre notre silence. « Vous vous êtes brûlé ? nargue Léila, vous vous êtes brûlé, ce n’est rien ; votre amie Scolastique Dupont-Quentin souffrira bien autrement de la mamelle gauche. Elle m’en voudra beaucoup, je vous charge de lui porter mes excuses. » Je n’ai rien à répondre. Nouveau silence. La patronne compte l’argent de la caisse. Un jeune homme et une jeune femme, un couple classique d’amoureux, banal jusqu’au bonheur, se lève pour sortir. Un garçon dort le coude sur la table. Léila n’a plus d’assurance. Je prends l’offensive : « C’était pour en venir là que vous dépensiez tant d’éloquence.

— Daniel, je vous en supplie, ne vous moquez pas de moi ; ce n’est pas ma faute, et puis il fallait bien que cela finît.

— Cela ? Quoi ?

— Cette comédie.