Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/98

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une simple camarade, je lui voulais en vérité un autre rôle dans mon existence. Léila certes était plus belle, mais chez la petite Boldiroff je devinais une douceur dont l’appel me tentait comme deux mains de marbre au front fiévreux ; c’était une supériorité, le mépris des petits manèges qui si longtemps l’avaient condamnée à demeurer une femme sans coquetterie ; elle n’avait pas jugé bon de faire ces répétitions sentimentales, grâce à quoi d’ailleurs nos jolies partenaires deviennent des actrices d’amour et non des amoureuses. Séduite, elle ne voulait que plaire ; d’instinct elle avait choisi les plus jolis gestes. Boldiroff était beau. Le meilleur moyen d’attendrir son orgueil avait été de prendre ses attitudes, l’étoffe, la coupe de ses habits. Or, tout en copiant le Russe, elle avait gardé cette simplicité de cœur, sensible en dehors même de toute affirmation, mais (et je tremblais déjà pour le bonheur de mon amie et m’efforçais cependant à ne pas me réjouir qu’il me parût à tel point précaire) son affectueuse sincérité ne devait aux yeux de Cyrille être autre chose qu’une mouche inattendue.

Quant à l’Hindoue, le malaise que j’avais de sa présence était sans doute l’avant-dernière forme d’un amour banalement sensuel mais qui, de n’avoir jamais été réalisé, prenait les plus divers aspects et bientôt allait finir, sans doute, par un très vigoureux sentiment d’exaspération. Au reste, j’étais sûr que si elle avait joué toute cette comédie, si elle s’était ainsi prétendue la maîtresse de Boldiroff, ç’avait encore été pour me narguer. Il fallait lui dire que je n’étais point dupe de ses petits mensonges, l’agacer à mon tour, me moquer d’elle.