Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/99

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Dès que j’eus fini ma toilette, je téléphonai donc chez Léila. Ce fut la bonne qui me répondit : Madame venait de quitter Paris.

Je courus chez les Boldiroff.

À la porte je rencontrai Cyrilla.

La bouche à peine ouverte, elle murmura : « J’allais chez vous. » Je la crus près de défaillir, tant son front était pâle. Je me rappelai un salon, le petit jour entre les rideaux, une femme qui triomphait. « Dans quatre heures je pars pour Le Havre ; demain nous voguerons vers l’Amérique et Cyrilla viendra vous demander conseil. »

C’est moi qui étais venu vers Cyrilla ; mais qu’avais-je à lui dire sinon, pour épargner la douleur des confidences, un simple : « Je sais. »

Alors droite, immobile : « Ce n’était pourtant point un lâche. Hier soir il m’a tout avoué, que cette femme était sa maîtresse, qu’il lui fallait partir. Je me suis approchée. J’ai pris sa jolie tête entre mes doigts ; ses paumes montaient le long de mon corps, caressaient ma poitrine. Je croyais qu’il avait voulu me narguer. Tout à coup il me repoussa, brutal. Il criait presque : “Cyrilla pardon, pardon, mais il faut que je m’en aille.” Moi je ne savais plus, je l’appelais fou ; il se mit à rire. “Fou, ah ! s’il était possible, fou, non pas fou, mais simplement un enfant perdu, comme dit ma tante Xénia, un grand enfant perdu.” Net, il se tut, puis reprit d’une autre voix : “Vous demanderez le divorce. Je vous paierai la pension qu’il faudra ; je ne puis rester avec vous. L’autre Léila m’est indispensable, indispensable comme la mauvaise vodka au gosier du moujik.” Je