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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/199

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craignait à juste titre ses vengeances, si l’on eût accepté sa feinte abdication : qui sait si tout cet amour pour le prince n’avait pas sa source dans la terreur qu’inspirait le bourreau ; les Russes ont raffiné la peur en lui prêtant le masque de l’amour.

Moscou est menacé d’invasion (le pénitent avait bien choisi son temps) ; on craint l’anarchie, autrement dit, les Russes prévoient le moment où, ne pouvant se garantir de la liberté, ils seront exposés à penser, à vouloir par et pour eux-mêmes, à se montrer hommes, et, qui pis est, citoyens : ce qui ferait le bonheur d’un autre peuple exaspère celui-ci. Bref, la Russie aux abois, énervée par sa longue incurie, tombe éperdue aux pieds d’Ivan, qu’elle redoute moins qu’elle ne se craint elle-même ; elle implore ce maître indispensable, elle ramasse sa couronne et son sceptre ensanglantés, les lui rend, et lui demande pour unique faveur la permission de reprendre le joug de fer qu’elle ne se lassera jamais de porter.

Si c’est de l’humilité, elle va trop loin, même pour des chrétiens ; si c’est de la lâcheté, elle est impardonnable ; si c’est du patriotisme, il est impie. Que l’homme brise son orgueil, il fait bien ; qu’il aime l’esclavage, il fait mal ; la religion humilie, l’esclavage avilit ; il y a entre eux la différence de la sainteté à la brutalité.