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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/306

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sur l’apparence, me répondit mon interlocuteur qui est un Russe des plus éclairés, comme vous l’allez voir. — C’est justement cette apparence, repris-je, qui m’inspire de l’estime pour votre nation. Chez nous, on ne craint que l’hypocrisie ; le cynisme est pourtant bien plus funeste aux sociétés. — Oui, toutefois il révolte moins les cours nobles. — Je le crois, repris-je ; mais par quelle bizarrerie est-ce surtout l’incrédulité qui crie au sacrilége dès qu’elle suppose au fond du cœur d’un homme un peu moins de piété qu’il n’en affiche dans ses actes et dans ses paroles ? Si nos philosophes étaient conséquents, ils toléreraient l’hypocrisie comme un des étais de la machine de l’État. La foi est plus accommodante que le matérialisme : elle croit les dévots sur parole. — Je ne m’attendais pas à vous entendre faire l’apologie de l’hypocrisie. — Je la déteste comme le plus odieux de tous les vices, mais je dis que ne nuisant à l’homme que dans ses rapports avec Dieu, l’hypocrisie est moins pernicieuse pour les sociétés que l’incrédulité effrontée, et je soutiens que les âmes vraiment pieuses auraient seules le droit de la qualifier de profanation ; tandis que les esprits irréligieux, les hommes d’État philosophes devraient la traiter avec indulgence, et pourraient même s’en servir comme d’un puissant auxiliaire politique ; néanmoins, c’est ce qui n’est arrivé en France que rarement et à de longs intervalles,