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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/348

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senter après un séjour assez court, à la vérité, dans leur pays, mais employé sans relâche à observer attentivement une multitude de personnes et de choses, et à comparer avec un soin scrupuleux beaucoup de faits divers[1]. La variété des objets qui passent sous les yeux d’un voyageur aussi favorisé que je l’étais par les circonstances, et aussi actif que je le suis quand ma curiosité est excitée, supplée jusqu’à un certain point au loisir et au temps qui m’ont manqué. Vous savez, je vous l’ai dit souvent, que je me complais dans l’admiration ; ce penchant naturel doit donner quelque crédit à mes jugements quand je n’admire pas.

En général les hommes de ce pays ne me paraissent pas disposés à la générosité ; ils n’y croient guère, ils la nieraient s’ils l’osaient, et s’ils ne la nient pas, ils la méprisent, parce qu’ils n’en ont pas la mesure en eux-mêmes. Ils ont plus de finesse que de délicatesse, de douceur que de sensibilité, plus de souplesse que de laisser-aller, plus de grâce que de tendresse, de perspicacité que d’invention, plus d’esprit que d’imagination, plus d’observation que d’esprit, et du calcul plus que tout. Ils travaillent non pour arriver à un résultat utile aux autres, mais pour obtenir une récompense ; le feu créateur leur est refusé, l’enthou-

  1. Voyez plus loin un autre portrait des Russes, t. IV, Résumé du voyage.