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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/349

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siasme qui produit le sublime leur manque, la source des sentiments qui n’ont besoin que d’eux-mêmes pour juges et pour rémunérateurs leur est inconnue. Otez-leur le mobile de l’intérêt, de la crainte et de la vanité, vous leur ôtez l’action ; s’ils entrent dans l’empire des arts, ce sont des esclaves qui servent dans un palais ; les saintes solitudes du génie leur restent inaccessibles : le chaste amour du beau ne leur suffit pas.

Il en est de leurs actions dans la vie pratique comme de leurs créations dans le monde de la pensée ; où triomphe la ruse, la magnanimité passe pour duperie.

La grandeur d’âme, je le sais, cherche sa récompense en elle-même ; mais si elle ne demande rien, elle commande beaucoup, car elle veut rendre les hommes meilleurs : ici elle les rendrait pires, parce qu’on la prendrait pour un masque. La clémence s’appelle faiblesse chez un peuple endurci par la terreur, rien ne le désarme que la peur ; la sévérité implacable lui fait ployer les genoux, le pardon au contraire lui ferait lever la tête ; on ne saurait le convaincre, on ne peut que le subjuguer ; incapable de fierté, il peut être audacieux : il se révolte contre la douceur, il obéit à la férocité, qu’il prend pour de la force.

Ceci m’explique le système de gouvernement adopté par l’Empereur, sans toutefois me le faire approuver :