Aller au contenu

Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
LE ROI

sanglants, mutinaient pour passer premiers ; entre les fauchées de son glaive le roi les vit : « Arrière ! leur commanda-t-il, arrière ! » Un poing sur le cercueil, il frappait dans les grands Allemands : « Qu’on ne devance pas celui-ci, c’est votre maître à cette heure ; il est de la province picarde qui aime le hachis, servez-lui-en donc à platée ! » L’assaut montait de plus en plus. Dans la boue et le sang qui gâtaient la terre le cheval au cercueil glissa ; une décharge de mousquets le prit en côté, retournant le mort dans sa boite et lui envoyant par le visage vingt-cinq ou trente balles dont il dut sourire. Le roi redressa la bête, et le misérable cercueil, becqueté comme un dé à coudre, se cabra tout raide dans les flammes ! Des jurons s’écrasaient aux barbes des capitaines, vieux routiers experts en assauts : « Morbieu la bourrasque ! Et je renibieu de mille sangbieus de bieus ! À vous, monsieur de Biscarone, gardez-vous d’une pique à droite ! » Le roi, combattant sans cesse, excitait chacun : « Peyretorte ! Etcherry ! Attus ! poussez avec vos Basquais ! Ferme ! Gascons, guide au mestre de camp qui vous voit dedans son cercueil ! » Il se fit alors dans les airs un tempétueux désordonnement ; le ciel tout à coup jaunit, l’eau tomba, le vent repoussant l’averse se lança sur les étendards qu’il mit en rubans, et de fantastiques nuées roussâtres, lourdes comme des peaux de veaux, semblèrent galoper au-dessus des cris et des armes à quelques toises des fronts. Malgré cette atmosphère obscurcie, la joie du roi,