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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/182

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civilisation. Je serais heureux cependant, pour commencer, d’être éclairé sur le caractère et les mœurs, sur la valeur fiduciaire et réelle des personnages ici présents. Et dans le salon où nous passâmes après le dîner, assis un peu à l’écart, je compatis à mon propre isolement spirituel tandis que la voix bourdonnante d’un domestique, de temps en temps, annonce les noms de gens qui me sont pour la plupart inconnus, mais qui néanmoins viennent me féliciter en vieux amis. Un nom que je viens d’entendre, et qui tout à coup réveille en moi des souvenirs, excite ma curiosité.

— Monsieur Schurke.

Schurke ! Gédéon Schurke ! Est-ce possible ? Est-ce lui ? Est-ce le même ? Est-ce l’unique, le seul Gédéon Schurke ?… Oui, c’est bien lui, il n’y a pas à en douter ; tel, ou peu s’en faut, qu’il m’apparut autrefois à Versailles, lorsqu’il offrit à mes juvéniles méditations ses opinions cyniques sur la société moderne. L’homme n’a point changé ; c’est à peine s’il a vieilli ; il vient à moi après un semblant d’hésitation, le sourire sur les lèvres ; sourire sardonique, bien entendu, mais engageant tout de même — et qui m’engagerait, en fait, à poser à Gédéon Schurke des questions aussi nombreuses sinon aussi naïves que celles que je lui posai jadis, si Schurke n’allait de lui-même au-devant de mes demandes. — Comment ? Pour le savoir, vous n’avez qu’à prêter l’oreille à notre conversation, tandis qu’un pianiste fameux commence à évoquer l’âme de Mozart en frappant de ses doigts agiles d’authentiques dépouilles d’éléphants. C’est Schurke qui parle d’abord, naturellement.

— Voilà déjà bien des années que je n’ai eu l’avantage de vous voir, monsieur Jean ; et j’ai plaisir à constater que vous n’avez point perdu votre temps ; permettez-moi de vous féliciter des résultats qu’ont obtenus vos