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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/257

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singes, guenons, chapeaux de paille, gluants, saucissons et litres à seize. On reconnaît au passage les petits oignons du veau ; y a du bleu, du blanc, du rouge, vive le drapeau français !…

Ah ! Vive tout ce qu’on veut, pourvu qu’on gueule, qu’on fasse la guerre à coups de gosiers. Voilà la revue, le défilé, les saluts, les acclamations. Vive Boulanger ! Vive Boulanger !… Cri d’espoir et de foi, pour sûr. Vive Boulanger ! Vive l’Armée ! Vive la revanche !

La guerre, alors ? Certainement. Pas aujourd’hui ; mais demain, sans faute. Le peuple français n’attendra pas plus longtemps. Il lui faut la guerre, au peuple français. Il la lui faut parce qu’il sait que maintenant la France s’est relevée et que son armée est prête. Il la lui faut afin de reprendre l’Alsace-Lorraine, sûrement, mais avant tout pour se délivrer de l’effroyable taxation dont on le chargea au lendemain du désastre ; pour en finir avec les écrasants impôts dont le produit devait servir à organiser une armée de revanche, l’armée qui est prête aujourd’hui. Elle est prête, l’armée ! Elle est prête, car pas un sou n’a été gaspillé, car pas une minute n’a été perdue. Vive l’armée !…

Nous remontons l’avenue du Bois de Boulogne au milieu d’une poussière aveuglante et d’acclamations qui assourdissent. J’ai simplement entendu les cris de la foule, jusqu’ici ; et l’idée me vient d’examiner ses visages, de scruter ses pensées intimes, de les déchiffrer sur ses faces. Ses faces ? Elle n’en a qu’une. Une figure terne, indifférente, lasse, aux yeux vitreux, avec une énorme bouche noire ; une figure animale, résignée, sans trace de résolution, de volonté, de caractère ; la figure d’une foule infirme dont l’emballement tient de la danse de Saint-Guy plutôt que de l’enthousiasme ; d’une foule qui n’est qu’une foule et veut rester une foule — ne veut pas devenir un peuple. — Tout d’un coup, je me