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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/335

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— N’est-ce pas pitoyable, le spectacle de cette Europe armée jusqu’aux dents et tremblant de peur ? De cette armée française qui parade et fanfaronne avec les duplicata de ses drapeaux ? De ces peuples se saignant aux quatre veines afin d’entretenir ça ? N’est-ce pas honteux, cette couardise de la nation française vautrée sur sa défaite et qui hurlerait de terreur si on lui disait cette chose si simple et si certaine : qu’elle n’échappera pas à la fatalité d’une guerre contre l’Allemagne ? Et il y a tant de braves parmi ces lâches ! Il faut un soldat pour changer tout cela, de fond en comble ; pour faire de l’armée, en réalité, l’Armée Nationale ; pour mettre fin au honteux gaspillage pratiqué par les voleurs tricolores qui organisent la déroute. Il faut un soldat, mais un soldat qui ne soit plus entravé par les liens des coteries militaires et qui ait brisé la ridicule épée de parade que lui confie un gouvernement de vaincus ! Ah ! ce qu’il pourrait faire, cet homme-là ! Comme son geste large balayerait les Mayeux de la Défaite et les Tartufes de la Revanche ! Comme sa voix appellerait à l’Acte nécessaire les Français qui veulent vivre !…

Une stupeur m’enveloppe, ligotte mon entendement. Cette femme pratique est une idéologue, une idéologie vivante ! Est-ce que l’action, donc, n’est point possible sans l’illusion ? Sans l’aveuglement partiel et voulu qui permet l’enthousiasme ? Est-ce que trop regarder les différents aspects des choses, trop voir toutes les faces d’une question, est-ce que cela estropie l’énergie, l’annihile ? Je sens que ce qu’il y a de plus lugubre en moi, ce n’est pas mon manque de volonté ; c’est mon désir mou de vouloir. Je pense que je ressemble à mon pays… Adèle parle toujours, véhémente, avec une lueur dans les yeux qui m’effraye, et que je n’ose soutenir de peur d’être tiré hors de moi-même. Elle développe son plan, expose ses projets. Elle dit que je puis entrer d’emblée dans le monde