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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/336

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politique, que mon élection est assurée, qu’elle a de l’argent, qu’elle saura en trouver, qu’elle agira avec moi et pour moi, qu’elle ne demande que sa part d’action à mes côtés…

Je ne l’écoute plus, je ne peux plus l’écouter. Je crois qu’elle a raison ; que tout ce qu’elle dit est vrai, est possible, serait grand. Mais je suis las, las. C’est une lutte qu’elle me propose ; et je me sens incapable d’un effort, incapable de tout. Je suis pénétré d’un besoin subit et absurde d’aimer, d’être aimé, de vivre tranquille, hors du monde. La lutte… Et si elle est vaine ? Me donner tant de mal pour rien, comme tous les autres !… Le bonheur, plutôt… Mais où ? Comment ? Je songe à des sottises. Je pense qu’Adèle a quatre ans de plus que moi, qu’elle a trente-deux ans, qu’elle a eu des aventures, des amants… Toutes ces pensées roulent les unes sur les autres en mon cerveau, s’enchevêtrent, tournoient, tourbillonnent, s’écroulent. Et je me découvre subitement la volonté arrêtée, forcenée, de refuser les propositions d’Adèle. Je me découvre cette volonté. Des raisons affluent, aussitôt, empesées d’orgueil, raides de fierté. Ne suis-je pas officier ? Ne porté-je pas l’épaulette ? N’ai-je pas l’avenir largement ouvert ? De quoi se mêlent-elles, ces femmes ? La hantise perpétuelle du sexe — qui s’offre avec des primes. — Celle-ci apporte une fortune, des protections. Qu’elle les garde ! Celle-là prétend apporter du bonheur, de la gloire. Du bonheur, je puis m’en passer ; de la gloire !… je vois des soleils là-bas, à l’horizon…

Je déclare à Adèle que je réfléchirai ; que je ne sais pas ; que je verrai ; que je la mettrai, dans deux jours, au courant de ma décision ; qu’elle m’a vivement intéressé. Elle me laisse partir, étonnée.

Je reviens chez moi énervé, exténué, comme écrasé du poids de toutes les choses que je ne veux pas faire…..