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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/492

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Et l’orage crève. Des éclairs déchirent la nue de sillons livides ; la foudre gronde, roule son fracas, éclate ; les maisons tremblent ; des trombes d’eau s’abattent sur la place.

Elle est vide tout d’un coup, cette place. Ç’a été une fuite soudaine, une débandade, un sauve-qui-peut. Foule, pompiers, fonctionnaires, musiciens, orateur, ont disparu. Un torrent, que grossit la pluie diluvienne, cache le pavé, vient écumer contre les murs. Aux fenêtres vite fermées pendent les restes des guirlandes et des lampions, des guenilles qui furent les drapeaux. Et derrière les vitres de ces fenêtres, partout, en haut, en bas, j’aperçois des visages blafards — des bouches ouvertes comme hébétées par l’inattendu qui termina la fête lamentable, des yeux fixés sur la statue…

La statue ; le simulacre qui regarde ces figures-là ; qui les regarde, le front haut, fier, dans une pose de défi ; dans une pose de défi que je comprends, tout d’un coup.

Et je les contemple, plein d’une amertume désespérée, — face à face, séparés par le verre que fait trembler la foudre, le peuple-souverain, Blague de chair, et la statue, Mensonge de bronze…



Londres, 1900-1901.