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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/81

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tion est pathétique. Lycopode, tout d’un coup, éclate en sanglots, je rentre dans la salle à manger, le cœur gros. Là encore, une scène émouvante et rapide a dû avoir lieu ; car ma grand’mère a les yeux rouges, et mon père a une larme au coin des paupières. Il me recommande d’être bien sage et bien obéissant pendant son absence, et refuse de m’autoriser à l’accompagner à la gare. Les émotions sont inutiles.

Pourtant, quelques minutes plus tard, quand l’heure du départ a sonné, je sens qu’il est très ému lorsqu’il me serre sur sa poitrine ; et il a peine à maîtriser son émotion aussi, lorsque ma grand’mère, après l’avoir embrassé, lui dit :

— Au revoir, mon cher Paul, et n’oubliez pas que nous vous aimons de tout notre cœur et que nous ne cesserons pas de penser à vous…



Je dois avouer que, bien que j’aie souvent pensé à mon père pendant les jours qui suivirent son départ, je n’ai pas pensé à lui exclusivement. Il y a tant à voir, tant à entendre partout ! C’est comme une nouvelle vie qui a commencé pour moi, pour la ville, pour tout le monde. C’est le départ des troupes ; c’est l’arrestation des faux espions ; c’est ceci, c’est cela ; c’est aussi la lecture des journaux. Lycopode, à l’insu de ma grand’mère, me fournit abondamment de feuilles publiques. Je trouve moyen, aussi, de m’échapper de temps en temps de la maison, et de me joindre aux bandes de garnements qui, divisés en Prussiens et en Français, se livrent à de terribles luttes. Il y a si longtemps que je rêvais de prendre part à leurs guerres ! et je m’en donne à cœur-joie. Mes vêtements, cependant, témoignent par leurs accrocs de ma généreuse audace et de mes résistances désespérées,