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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/11

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LES ROIS EN EXIL

étaient-ils, aujourd’hui, les danseurs de ce beau quadrille ? Tous morts, exilés ou fous. Deuils sur deuils ! Désastres sur désastres ! Dieu n’était donc plus du côté des rois maintenant !…

Alors elle se rappelait tout ce qu’elle avait souffert depuis que la mort du vieux Léopold lui avait mis au front la double couronne d’Illyrie et de Dalmatie. Sa fille, son premier-né, emportée au milieu des fêtes du sacre par une de ces maladies étranges et sans nom qui résument l’épuisement d’un sang et la fin d’une race, — si bien que les cierges de la veille funèbre se mêlaient aux illuminations de la ville, et que le jour de l’enterrement à l’église du Dôme on n’avait pas eu le temps d’enlever les drapeaux. Puis, à côté de ces grandes douleurs, à côté des transes que lui donnait sans cesse la débile santé de son fils, d’autres tristesses connues d’elle seule, cachées au coin le plus secret de son orgueil de femme. Hélas ! le cœur des peuples n’est pas plus fidèle que celui des rois. Un jour, sans qu’on sût pourquoi, cette Illyrie qui leur avait fait tant de fêtes se désaffectionnait de ses princes. Venaient les malentendus, les entêtements, les méfiances, enfin la haine, cette horrible haine de tout un pays, cette haine qu’elle sentait dans l’air, dans le silence des rues, l’ironie des regards, le frémissement des fronts courbés, qui lui faisaient craindre de se montrer à une