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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/115

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LES ROIS EN EXIL

fant où son pied dansait, de cette veste dont les poches sonnaient des sous du pourboire, au costume de page héroïque, poignard à manche de nacre et bottes montantes, qu’elle ambitionnait pour suivre son Lara !… Le duc vit passer sans méfiance deux mitrons, leur panier sur la tête, enveloppés d’un bon parfum de pâte chaude qui lui fit sentir cruellement les premières atteintes de la faim — il était à jeun, le pauvre homme ! — En haut, le roi prisonnier, mais débarrassé d’un lourd souci, lisait, buvait son roederer, regardant de temps en temps par un coin du rideau si le crocodile était toujours là.

Le soir, lorsqu’il rentra à Saint-Mandé, le vieux Rosen fut reçu par le plus ingénu sourire de la princesse. Il comprit qu’il était joué et ne souffla mot de l’aventure. Elle s’ébruita pourtant. Qui sait par quelles fissures de salon ou d’antichambre, par quelle glace abaissée d’un coupé, par quel écho renvoyé du mur sourd aux portes muettes se répand à Paris un bruit scandaleux, jusqu’à ce qu’il arrive au grand jour, c'est-à-dire à la première page d'une feuille mondaine, et de là parle à la foule, entre dans des milliers d'oreilles, devienne la honte publique après avoir été l’anecdote amusante d’un cercle ? Pendant huit jours tout Paris s’égaya de l’histoire du petit mitron. Les noms chuchotés aussi bas qu’il est pos-