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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/160

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ouvert sous l’appuie-main, entouré de poudre, de grattoirs, de règles, d’essuie-plumes, un long casier plein de livres de même taille, — les livres de l’agence ! — leurs dos verts alignés comme des Prussiens à la parade. L’ordre de ce petit coin recueilli, la fraîcheur des choses qui l’emplissaient, faisaient honneur au vieux caissier, absent pour le moment, dont l’existence méticuleuse devait se passer là.

Tandis que le roi continuait à attendre, allongé dans son fauteuil, le nez en l’air dépassant ses fourrures, tout à coup, sans un mouvement de la porte vitrée qui donnait sur les magasins, fermée d’une grande tenture algérienne à trou d’arlequin comme un rideau de théâtre, il se fit derrière le grillage un léger et vif bruissement de plume. Quelqu’un était assis au bureau, et non pas le vieux commis à tête de loup blanc pour qui la niche semblait faite, mais la plus délicieuse petite personne qui ait jamais feuilleté un livre de commerce. Au geste de surprise de Christian, elle se retourna, l’enveloppa d’un regard doux longuement déroulé, noyant une étincelle à l’angle de chaque tempe. Toute la pièce fut illuminée de ce regard, comme elle fut musicalement charmée par une voix émue, presque tremblante, qui murmurait : « Mon mari vous fait bien attendre, Monseigneur. »

Tom Lévis, son mari !… le mari de cet être