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LES ROIS EN EXIL

suave au profil fin et pâle, aux formes dégagées et pleines, d’une statuette de Tanagra… Comment était-elle là, seule dans cette cage, feuilletant ces gros livres dont la blancheur se reflétait sur son teint mat, dont ses petits doigts avaient peine à tourner les pages ? Et cela par un de ces beaux soleils de février qui font miroiter tout le long du boulevard la grâce vive, les toilettes, les sourires des promeneuses ! Il lui fit, en s’approchant, un madrigal quelconque où se mêlaient ces impressions diverses ; mais son cœur le gênait pour parler, tellement il lui battait la poitrine, animé par un de ces désirs effrénés et brusques comme cet enfant gâté et blasé ne se souvenait pas d’en avoir jamais eu. C’est que le type de cette femme entre vingt-cinq et trente ans était absolument nouveau pour lui, aussi loin des boucles mutines de la petite Colette de Rosen, de l’aplomb fille, du fard cerclant les yeux d’impudeur de la Férat, que de la majesté gênante et si noblement triste de la reine. Ni coquetterie, ni hardiesse, ni fière retenue, rien de ce qu’il avait rencontré dans le vrai monde ou dans ses relations avec la haute bicherie. Cette jolie personne à l’air calme et casanier, ses beaux cheveux foncés, lisses comme ceux des femmes qui se coiffent dès le matin pour tout un jour, simplement serrée d’une robe de laine aux reflets de violette, et que deux énormes bri-