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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/244

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voiture eut un élan emporté, l’attira à pleins bras contre son cœur.

— Oh ! dit-elle tristement, vous allez me gâter tout mon plaisir.

L’immense salle d’attente du premier était déserte, mal éclairée. Assis tous les deux sur un banc, Séphora, frissonnante, s’abritait dans l’ample fourrure de Christian. Ici elle n’avait plus peur, s’abandonnait, parlait au roi, bas, dans l’oreille. De temps en temps passait un employé balançant sa lanterne, ou quelque bande de comédiens habitant la banlieue et rentrant après le théâtre. Parmi eux, le mystère d’un couple enlacé, marchant à l’écart.

— Qu’ils sont heureux ! murmurait-elle… Ni liens, ni devoirs… Suivre l’élan de son cœur… Tout le reste est une duperie…

Elle en savait quelque chose, hélas ! Et soudain, comme entraînée, elle lui racontait sa triste existence avec une sincérité qui le toucha, les embûches, les tentations des rues de Paris pour une fille que l’avarice de son père faisait pauvre, à seize ans le sinistre marché, la vie finie, les quatre ans passés près de ce vieillard pour qui elle n’avait été qu’une garde-malade ; ensuite, ne voulant plus retomber dans la boutique trafiquante du père Leemans, la nécessité d’un guide, d’un soutien, qui lui avait fait épouser ce Tom Lévis, un homme d’argent. Elle s’était donnée, dévouée, privée