Aller au contenu

Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
LES ROIS EN EXIL

de tout plaisir, terrée vive à la campagne, puis mise à ce travail d’employé, et cela sans un merci, sans une grâce de cet ambitieux tout à ses affaires, qui, à la moindre velléité de révolte, au moindre désir de vivre, opposait toujours ce passé dont elle n’était pas responsable.

— Ce passé, dit-elle en se levant, qui m’a valu le sanglant outrage paraphé de votre nom sur le livre du Grand-Club.

La cloche, sonnant le départ, arrêta juste où il le fallait ce petit effet théâtral. Elle s’éloigna de son pas glissant que suivaient les noires légèretés de sa jupe, envoya à Christian un salut des yeux, de la main, et le laissa stupéfait, immobile, étourdi de ce qu’il venait d’entendre… Elle savait donc ?… Comment ?… Oh ! qu’il s’en voulait de sa lâcheté, de sa forfanterie… Il passa sa nuit à écrire, à demander pardon dans un français semé de toutes les fleurs de sa poésie nationale qui compare la bien-aimée aux colombes roucoulantes, au fruit rosé de l’azerole.

Merveilleuse invention de Séphora, ce reproche du pari ! Cela lui donnait barre en plein sur le roi, et pour longtemps. Cela expliquait aussi ses longues froideurs, ses accueils presque ennemis, et le marchandage savant qu’elle allait faire de toute sa personne. Un homme ne doit-il pas tout supporter de celle à qui il a fait un affront pareil ! Christian devint le ser-