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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/277

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LES ROIS EN EXIL

là dans sa main. Il a l’air de dire : « Hein ! si je ne voulais plus parler maintenant. Qui serait attrapé ? » Et c’est lui qui est attrapé, car, lorsqu’il s’apprête à continuer, personne n’écoute plus…

Une porte a battu là-haut, dans la tribune jusqu’alors restée déserte. Une femme est entrée, s’est assise sans embarras mais s’imposant tout de suite à l’attention. La toilette sombre, coupée par le grand faiseur, garnie de broderies en œil de paon, le chapeau bordé d’une dentelle d’or retombante, enserrent délicieusement la taille souple, l’ovale en pâleur rosée de cette Esther sûre de son Assuérus. Le nom se chuchote ; tout Paris la connaît, depuis trois mois il n’est bruit que de ses amours et de son luxe. Son hôtel de l’avenue de Messine rappelle par les splendeurs de l’installation le plus beau temps de l’Empire. Les journaux ont donné les détails de ce scandale mondain, la hauteur des écuries, le prix des peintures de la salle à manger, le nombre des équipages, la disparition du mari qui, plus honnête qu’un autre Ménélas célèbre, n’a pas voulu vivre de son déshonneur, est allé bouder à l’étranger en époux trompé du grand siècle. Il n’y a que le nom de l’acquéreur que ces chroniques ont laissé en blanc. Au théâtre, la dame est toujours seule au premier rang des avant-scènes, escortée d’une paire de fines moustaches dissi-