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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/280

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s’en rende bien compte, la beauté sérieuse et fine de la créature le lui fait sentir plus vivement. Le défi est clair dans ces beaux yeux, ce front est insolent de netteté, l’éclat de cette bouche la brave… Mille pensées se heurtent dans sa tête… Leur grande détresse… les humiliations de tous les jours… Hier encore ce carrossier qui criait sous ses fenêtres et que Rosen a payé, car il a bien fallu en venir là… Où Christian prend-il l’argent qu’il donne à cette femme ?… Depuis la supercherie des fausses pierres, elle sait de quoi il est capable ; et quelque chose lui dit que cette Spalato sera le déshonneur du roi, de la race. Un instant, une seconde, dans cette nature violente passe la tentation de se lever, de sortir, l’enfant par la main, d’échapper brutalement à un infâme voisinage, à une rivalité dégradante. Mais elle songe qu’elle est reine, femme et fille de roi, que Zara sera roi aussi ; et elle ne veut pas donner à leurs ennemis la joie d’un tel scandale. Une dignité, plus haute que sa dignité de femme, et dont elle a fait la règle désespérée et fière de toute sa vie, la maintient à son rang, ici en public, comme dans le secret de sa maison dévastée. Ô cruel destin de ces reines qu’on envie ! L’effort qu’elle fait est si violent que des pleurs vont lui jaillir des yeux, comme l’eau calme d’un étang jaillit sous un coup de rame. Vite, pour qu’on ne la voie pas, elle a