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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/319

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LES ROIS EN EXIL

en nous laissant un peu de sa peau… Quand je pense à ce qu’il s’est fait d’affaires depuis quarante ans dans ce trou de la rue Eginhard, à tout ce que j’ai fondu, vendu, retapé, échangé !… Il ne me manquait plus que de brocanter une couronne,… maintenant ça y est, c’est dans le sac…

Il se leva, le verre en main, les yeux brillants et féroces :

— À la Brocante, mes enfants.

Dans le fond, la Darnet, à l’affût sous sa coiffe noire du Cantal, guettait tout, écoutait tout, s’instruisait sur le commerce ; car elle espérait s’établir sitôt la mort de « monsieur » et brocanter pour son propre compte.

Soudain la crécelle de l’entrée s’agite violemment, s’étrangle comme un vieux catarrhe. Tous tressaillent. Qui peut venir à pareille heure ?

— C’est Lebeau, dit le père… Il n’y a que lui…

De grands cris accueillent le valet de chambre qu’on n’avait pas vu depuis longtemps, et qui fait son entrée, blème, hâve, les dents serrées, l’air absolument esquinté et de mauvaise humeur.

— Assieds-toi là, ma vieille fripe… dit Leemans, élargissant une place entre lui et sa fille.

— Diable ! fait l’autre devant leurs faces