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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/333

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LES ROIS EN EXIL

quets de corsage ou les petites brochettes diamantées ; et quand un couple passe, éperdu de rythme et d’amour, de longs regards le suivent, souriants, attendris. Chacun sait en effet que tous ces beaux danseurs, noblesse d’Illyrie exilée avec ses princes, noblesse française toujours prête à donner son sang à la bonne cause, vont partir au petit jour pour une expédition périlleuse et hardie. Même en cas de victoire, combien en reviendra-t-il de ces fiers jeunes gens qui s’enrôlent sans se compter ! Combien, avant huit jours, mordront la terre, couchés au revers des montagnes, ayant encore dans leurs oreilles, où bourdonne le sang en déroute, ce motif enivrant de mazourka ! C’est l’approche du danger qui mêle à l’entrain du bal l’anxiété d’une veillée d’armes, fait briller dans les yeux des larmes et des éclairs, tant d’audace et tant de langueur. Que peut-on refuser à celui qui part, qui va mourir peut-être ? Et cette mort qui plane, dont l’aile vous frôle dans la cadence des violons, comme elle resserre l’étreinte et précipite l’aveu ! Fugitives amours, rencontre d’éphémères traversant le même rayon de soleil ! On ne s’est jamais vu, on ne se reverra plus sans doute, et voilà deux cœurs enchaînés. Quelques-unes, les plus hautaines, essayent de sourire malgré leur émotion ; mais que de douceur encore sous cette ironie ! Et tout cela tourne,