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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/332

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délicatement résonnantes. Ces jeunes gens, hardis et fiers, à tournures d’heiduques, se sentent tous le courage indomptable de Rodoïtza, si bien payé de l’amour d’une femme ; ces belles Dalmates, grandes comme Haïkouna, ont au cœur sa tendresse pour les héros. Et les vieux en pensant à la patrie lointaine, les mères en regardant leurs fils, tous ont envie de sangloter, tous, — sans la présence du roi et de la reine, — mêleraient leur voix au cri strident, à toute gorge, que les joueurs de guzlas, leur morceau fini, jettent jusqu’aux étoiles dans une dernière fusée d’accords.

Sitôt après, les danses reprennent, avec une envolée, un entrain surprenant, dans un monde où l’on ne s’amuse plus guère que par convention. Décidément, comme dit Lebeau, il y a dans cette fête quelque chose qui n’est pas ordinaire ; quelque chose d’ardent, de fiévreux, de passionné, qu’on sent dans l’étreinte des bras autour des tailles, l’emportement des danseurs, certains regards étincelants qui se croisent, jusque dans la cadence des valses, des mazourkes, où sonne tout à coup comme un cliquetis d’étriers et d’éperons. Vers la fin des bals, quand le matin pâlit les vitres, la dernière heure de plaisir a cette ardeur hâtée, ces défaillances ivres. Mais ici le bal commence à peine, et déjà toutes les mains brûlent dans les gants, tous les cœurs battent sous les bou-