Aller au contenu

Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
LES ROIS EN EXIL

« Madame est sortie.»

Ce fut une douche froide sur un brasier. Madame était sortie. On n’en pouvait douter au désarroi de la maison envahie, livrée aux gens de service dont Christian avait vu fuir à son entrée les rubans de couleur et les gilets de coutil à raies. Il ne demanda rien de plus, et, dégrisé subitement, mesura l’abîme sans fond où il avait failli rouler. Parjure à Dieu, traître à la couronne !… Le petit chapelet se trouva sous ses doigts brûlants. Il en égrenait les Ave en actions de grâces, pendant que la voiture roulait vers Saint-Mandé, par les aspects fantastiques. et les terreurs nocturnes du bois.

— Le roi ! dit Élisée qui guettait aux croisées du salon et vit les deux lanternes du coupé entrer en éclairs dans la cour. Le roi ! C’était le premier mot qu’on eût prononcé depuis le dîner. Par magie, toutes les figures s’illuminèrent, les langues se délièrent à la fois. La reine elle-même, malgré son calme apparent, sa force de caractère, ne put retenir un cri de joie. Elle avait cru tout perdu, Christian retenu chez cette femme, abandonnant ses amis, se déshonorant à tout jamais. Et personne autour d’elle pendant ces trois mortelles heures d’attente, à qui cette pensée ne fût venue, qui ne s’inquiétât de même, jusqu’au petit Zara qu’elle avait gardé levé et qui, com-