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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/356

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prenant l’angoisse, le dramatique de ce silence, sans hasarder une de ces questions si cruelles, si fatidiques, que l’enfant prononce de sa voix claire, s’était abrité dans les feuillets d’un gros album, d’où sa jolie tête sortit tout à coup à l’annonce du roi, baignée de larmes longues coulant silencieusement depuis une heure. Plus tard, quand on l’interrogea sur ce grand chagrin, il avoua qu’il se désespérait ainsi dans la crainte que le roi ne fût parti sans l’embrasser. Petite âme aimante à qui ce père jeune, spirituel, souriant, faisait l’effet d’un grand frère à frasques et à fredaines, un grand frère séduisant, mais qui désolait leur mère.

On entendit la voix brève et pressée de Christian qui donnait des ordres. Puis il monta dans sa chambre et, cinq minutes après, parut tout équipé pour le voyage, en petit chapeau à boucle coquette et ganse bleue, guêtres fines à mi-pied, comme un touriste de plage dans les tableaux de Wattelet. Le monarque perçait pourtant sous le gandin, l’autorité, le grand air, l’aisance à figurer noblement en n’importe quelle circonstance. Il s’approcha de la reine, murmura quelques excuses pour son retard. Pâle encore d’émotion, elle lui dit très bas : — Si vous n’étiez pas venu, je partais avec Zara prendre votre place. Il savait bien qu’elle ne mentait pas, la vit pendant une minute, son enfant sur le bras au milieu des