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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/360

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buissons, confuses, moelleuses dans l’ombre, qui semblent se jeter l’une sur l’autre au passage du train, des poteaux à disques, des nuages affolés dans un ciel tiède ; et ses paupières devenues lourdes vont se fermer, quand il sent la caresse sur son visage d’une chevelure fine, de cils abaissés, d’une haleine de violette, de deux lèvres murmurant sur ses lèvres : « Méchant !… sans me dire adieu !… »

Dix heures après, Christian II se réveillait au bruit du canon, à la lumière aveuglante d’un beau soleil campagnard tamisé par des verdures murmurantes. Justement il rêvait qu’il montait à la tête de ses troupes et sous une dégelée de mitraille le raidillon qui conduit du port de Raguse à la citadelle. Mais il se trouvait là couché, immobile au fond d’un grand lit raviné comme un champ de bataille, les yeux et le cerveau brouillés, les moelles fondues dans une fatigue délicieuse. Que s’était-il donc passé ? Peu à peu il vit clair, se rappela. Il était à Fontainebleau, à l’hôtel du Faisan, en face de la forêt dont on voyait monter dans le bleu les cimes vertes et serrées ; le canon venait des exercices à feu de l’artillerie. Et la réalité vivante, le lien visible de ses idées, Séphora, assise devant l’éternel secrétaire qu’on ne trouve plus que dans les hôtels, écrivait activement, d’une mauvaise plume qui grinçait.