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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/93

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LES ROIS EN EXIL

pâle de froid et de faim, et qui venait de battre les taillis pendant deux heures pour trouver quelque fleurette d’arrière-saison, se dégelait les doigts debout devant la haute cheminée de marbre blanc en forme d’autel, sur laquelle le Père Alphée disait parfois, le dimanche, une messe particulière. La marquise, majestueuse et raide au bord d’un divan, dans sa robe de velours vert, hochait la tête d’un air tragique sur son long cou maigre entortillé d’un boa, tout en faisant ses confidences à la princesse Colette. La pauvre femme était désespérée qu’on lui eût repris son élève pour le confier à une espèce… une véritable espèce… ; elle l’avait vu le matin traverser la cour.

— Ma mie, il vous aurait fait peur… des cheveux longs comme ça, l’air d’un fou… Il faut le Père Alphée pour de pareilles trouvailles.

— On le dit très savant… fit la princesse, distraite, envolée…

L’autre bondit là-dessus… Très savant… très savant !… Est-ce qu’un fils de roi avait besoin d’être bourré de grec et de latin comme un dictionnaire ?… « Non, non, voyez-vous, ma petite, ces éducations-là exigent des connaissances spéciales… Moi je les avais. J’étais prête. J’ai travaillé le traité de l’abbé Diguet sur l’Institution d’un prince. Je sais par cœur les différents moyens qu’il indique pour connaître les hommes, ceux pour écarter les flatteurs. Les