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Page:Daudet - Jack, II.djvu/192

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tremblante à mon bras, et la joie de se dire : « Mon enfant est heureuse, c’est à moi qu’elle le doit. » Oh ! ce coup de hallebarde sous le porche me restera dans le cœur toute la vie. Ensuite, après la messe, déjeuner à la maison et départ des enfants en chaise de poste pour leur beau voyage de noces. Je les vois encore tous les deux serrés l’un contre l’autre dans le fond de cette voiture, emportés par le double élan du voyage et de leur bonheur, et bientôt enveloppés d’un nuage de poussière joyeuse où l’on entendait des grelots et des coups de fouet.

Ceux qui s’en vont sont heureux en pareil cas ; mais ceux qui restent sont bien tristes. Quand nous nous mîmes à table, le soir, la mère et moi, cette place vide entre nous nous donna bien l’impression de notre isolement. Et puis cela s’était fait trop vite, sans nous laisser le temps de nous préparer à la séparation. Nous nous regardions, stupéfaits. Moi encore j’avais le dehors, mes courses, mes malades ; mais la pauvre maman était réduite à faire tourner son regret dans tous les coins du logis qui lui rappelait l’absente. C’est la destinée des femmes. Tous leurs chagrins, toutes leurs joies leur viennent de l’intérieur, s’y concentrent, s’y incrustent si bien qu’elles les retrouvent dans l’armoire qu’elles rangent ou dans la broderie qu’elles achèvent. Heureusement que les lettres que nous recevions de Pise, de Florence, étaient toutes rayonnantes d’amour et de soleil. Puis, nous nous occu-