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Page:Daudet - Jack, II.djvu/193

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pions des enfants. Je leur faisais construire une petite maison à côté de la nôtre. Nous choisissions des tentures, des meubles, des papiers. Et chaque jour nous parlions d’eux : « Ils sont ici… ils sont là… ils s’éloignent… Ils se rapprochent. » Enfin, nous attendions ces dernières lettres que les voyageurs jettent, au retour, avec l’envie de les devancer.

Un soir que j’étais rentré très tard de mes visites et que je dînais seul ici, ma femme étant couchée, j’entends un pas précipité dans le jardin, dans l’escalier. La porte s’ouvre. C’est ma fille. Non plus cette belle jeune femme qui était partie un mois auparavant, mais une pauvre enfant, maigrie, pâle, changée, couverte d’une méchante petite robe, un sac de voyage à la main, l’air misérable, égaré et fou.

— C’est moi… me voilà.

— Ah ! mon Dieu, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Et Nadine ?

Elle ne répond pas, ferme les yeux, et se met à trembler, à trembler. Tu penses dans quelle angoisse j’étais.

— Par grâce, parle-moi, mon enfant… Où est ton mari ?

— Je n’en ai pas… Je n’en ai plus… Je n’en ai jamais eu.

Et tout à coup, assise près de moi, là où tu es, elle me raconte à voix basse, sans me regarder, son horrible histoire…