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Page:Daudet - Jack, II.djvu/195

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où cet homme était entré chez nous. Ah ! l’on parle de notre diagnostic, à nous autres médecins. Mais qu’est-il en comparaison de ces avertissements, de ces confidences que la destinée chuchote à l’oreille de certaines femmes ? Dans le pays, l’arrivée de ma fille fut vite connue :

— Eh bien, monsieur Rivals, nos voyageurs sont donc de retour ?

On me demandait des renseignements, des nouvelles, mais on voyait bien à mon air que je n’étais pas heureux. On remarquait que le comte était absent, que Madeleine et sa mère ne sortaient jamais, et bientôt je me sentis entouré d’une sympathie compatissante qui me semblait plus pénible que tout.

Je ne connaissais pourtant pas encore entièrement mon malheur. Ma fille ne m’avait pas confié son secret : un enfant allait naître de cette union menteuse, illégitime, déshonorante… Quelle triste maison nous faisions alors !… Entre ma femme et moi, atterrés et muets, Madeleine cousait sa layette, ornait de rubans et de dentelles ces petits objets qui sont la joie et l’orgueil des mères, et qu’elle ne pouvait regarder sans honte, du moins je le croyais : la moindre allusion au misérable qui l’avait trompée la faisait pâlir et frissonner, la pensée d’avoir appartenu à « ça » semblait la gêner comme une souillure. Mais ma femme, qui y voyait plus clair que moi, me disait quelquefois : « Tu te trompes… je suis sûr qu’elle l’aime encore. »