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Page:Daudet - Jack, II.djvu/300

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Jack ne put retenir un cri d’indignation :

— Mais c’est toi, cette femme ! Et tu sais comment tu es partie, dans quelles circonstances odieuses.

Elle répondit toute frissonnante :

— Mon cher, tu auras beau chercher à m’humilier, renouveler l’outrage en me le rappelant, il y a ici une question d’art et je crois m’y entendre un peu plus que toi. M. d’Argenton m’aurait outragée cent fois plus qu’il n’a fait, cela ne m’empêcherait pas de reconnaître qu’il est une des sommités littéraires de ce temps. Plus d’un en parle avec mépris aujourd’hui, qui sera fier de dire plus tard : Je l’ai connu… Je me suis assis à sa table.

Là-dessus, elle sortit majestueusement pour aller retrouver madame Levindré, l’éternelle confidente ; et Jack, déjà remis au travail, — c’était sa seule ressource dans le chagrin, cette étude qui le rapprochait de Cécile, — entendit bientôt chez les voisins une lecture à haute voix, interrompue d’exclamations enthousiastes et de larmes trahies par le bruit des mouchoirs.

— Tenons-nous bien… l’Ennemi approche… pensait le pauvre garçon. Il ne se trompait pas.

Amaury d’Argenton était aussi malheureux loin de sa Charlotte que celle-ci s’ennuyait de n’être plus auprès de lui. Victime et bourreau, indispensables l’un à l’autre, ils sentaient profondément, chacun de son côté, le vide des existences dépareillées. Dès le premier jour de la séparation, le poëte avait pris une attitude