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Page:Daudet - Jack, II.djvu/303

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prologue des « Ruptures. » Le malheur, c’est que la composition poétique, au lieu de le calmer, l’excita encore. Comme il avait besoin de se monter, il imagina une Charlotte idéale, plus belle, plus séraphique que l’autre, élevée au-dessus de terre de toute la hauteur de son inspiration forcée. Dès lors, la séparation devint intolérable. Sitôt que la revue eut publié le prologue du poëme, Hirsch et Labassindre furent chargés d’aller porter un exemplaire rue des Panoyaux. Cet appeau jeté, d’Argenton, voyant que bien décidément il ne pouvait plus vivre sans Lolotte, résolut de frapper un grand coup. Il se fit friser, pommader, cirer à la hongroise, prit un fiacre qui devait l’attendre à la porte, et se présenta rue des Panoyaux à deux heures de l’après-midi, alors que les femmes sont seules et que toutes les usines du faubourg envoient au ciel des tourbillons de fumée noire. Moronval qui l’accompagnait descendit parler au concierge, puis revint :

— Tu peux monter… Au sixième, au fond du coïdo… Elle y est.

D’Argenton monta. Il était plus pâle que d’habitude et son cœur battait. Ô mystères de la nature humaine, que des êtres comme celui-là aient un cœur, et que ce cœur puisse battre ! C’était moins l’amour, il est vrai, que l’entourage de l’amour qui l’émouvait, le côté romanesque de l’expédition, la voiture au coin de la rue comme pour un enlèvement, et surtout sa