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Page:Daudet - Jack, II.djvu/307

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rides. Vous l’avez tant fait pleurer… Ce n’est plus une jolie femme, une maîtresse qui puisse satisfaire votre vanité. C’est une mère, c’est maman, laissez-la moi.

Ils se regardaient bien en face sur le palier lugubre et sordide où montaient par intervalles des piaillements d’enfants, des échos d’autres disputes, fréquentes dans la grande ruche ouvrière. C’était le cadre qui convenait à cette scène humiliante et navrante qui remuait des hontes à chacun de ses mots.

— Vous vous méprenez étrangement sur le sens de ma démarche, dit le poëte, tout pâle malgré son grand aplomb… Je sais Charlotte très digne, vos ressources fort modiques… Je venais comme un vieil ami… voir si rien ne manquait, si on n’avait pas besoin de moi.

— Nous n’avons besoin de personne. Mon travail nous suffit largement à tous deux.

— Vous êtes devenu bien fier, mon cher Jack… Vous ne l’étiez pas autant autrefois.

— C’est vrai, monsieur. Aussi votre présence que je supportais jadis m’est odieuse aujourd’hui ; et je vous préviens que je ne veux pas en subir l’injure plus longtemps.

L’attitude de Jack était si déterminée, si provocante, son regard soulignait si bien ses paroles, que le poëte n’osa pas ajouter un mot et se retira gravement, redescendant les six étages, où son costume soigné, sa frisure faisaient une tache singulière, donnaient bien l’idée de ces erreurs sociales qui d’un bout à l’autre de