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Page:Daudet - Jack, II.djvu/308

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cet étrange Paris relient entre eux tant de contrastes. Quand Jack l’eut vu disparaître, il rentra. Ida, toute blanche, décoiffée, les yeux gonflés de sommeil et de larmes, l’attendait debout contre la porte :

— J’étais là, lui dit-elle à voix basse… J’ai tout entendu, tout, même que j’étais vieille et que j’avais des rides.

Il s’approcha d’elle, lui prit les mains, et la regardant jusqu’au fond des yeux :

— Il n’est pas loin… Veux-tu que je le rappelle ?

Elle dégagea ses mains, et sans hésiter lui sauta au cou, dans un de ces élans qui l’empêchaient d’être une vile créature :

— Non, mon Jack, tu as raison… Je suis ta mère, rien que ta mère, je ne veux plus être que cela.

Quelques jours après cette scène, Jack écrivait à M. Rivals la lettre suivante :

« Mon ami, mon père, c’est fini, elle m’a quitté, elle est retournée avec lui. Cela s’est passé dans des circonstances si navrantes, si imprévues, que le coup m’a été encore plus rude… Hélas ! celle dont je me plains est ma mère. Il serait plus digne de garder le silence ; mais je ne peux pas. J’ai connu dans mon enfance un pauvre petit négrillon qui disait toujours : « Si le monde n’avait pas soupir, le monde étoufferait. » Je n’ai jamais compris cette parole comme aujourd’hui. Il me semble que si je ne vous écrivais pas cette lettre,