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Page:Daudet - Jack, II.djvu/31

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Alors il pensa à Mâdou, à ses fuites dans le port de Marseille, à ses cachettes improvisées au fond des cales, parmi le charbon, les marchandises, les bagages. Mais cette idée comme les autres ne fit que traverser son esprit, s’en alla avec les « Oh ! hisse » des matelots halant sur des cordes, le grincement des poulies en haut des vergues, les coups de marteau des chantiers de construction.

Tout à coup, Jack n’est plus dans le bateau. Comment cela s’est-il fait ? Par où est-il descendu ? Le rêve a de ces lacunes ; et Jack vit dans un rêve agité. Ses deux compagnons et lui s’acheminent sur un quai interminable, longé d’une voie ferrée, encombré de marchandises de toutes sortes qu’on est en train de charger ou de débarquer, ce qui fait à chaque pas des obstacles, des passerelles à enjamber. Il trébuche dans des balles de coton, glisse sur des tas de blé, se cogne aux angles des caisses, respire partout où il passe des odeurs violentes ou fades d’épices, de café, de graines ou d’essences. Il perd ses camarades, les retrouve, les reperd encore, et subitement se surprend en train de faire une longue dissertation sur les graines oléagineuses au brigadier Mangin, qui le regarde avec inquiétude et tire sa petite moustache blonde d’un air gêné. Car c’est une chose singulière, Jack se voit agir ; il se dédouble. Il y a en lui un Jack qui est comme fou, qui crie, qui gesticule, marche de travers, dit et fait mille sottises, et un être raisonnable,