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Page:Daudet - Jack, II.djvu/323

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meurs aujourd’hui. Mais cette époque bénie, cet oubli du mauvais destin à mon égard, c’est à Cécile et à vous que je l’ai dû. Je ne l’oublierai jamais.

Il retira doucement ses mains de l’étreinte frémissante du docteur.

— Tu pars, Jack ?… tu ne déjeunes pas avec moi ?…

— Non, merci, monsieur Rivals… Je ferais un trop triste convive.

Il traversa le jardin d’un pas ferme, franchit la porte et s’éloigna rapidement sans regarder en arrière. S’il s’était retourné, il aurait vu là-haut, au premier étage, sous la blancheur du rideau soulevé, sa bien-aimée aussi pâle, aussi tremblante que lui et qui pleurait en lui tendant les bras, mais sans songer à le retenir. Les jours suivants furent bien tristes chez les Rivals. La petite maison, égayée et rajeunie depuis des mois, reprit son morne visage des anciens jours, plus morne encore de toute la gaieté disparue. Le docteur, très troublé, épiait sa petite-fille, ses promenades solitaires dans le jardinet et ses longues stations dans la chambre de sa mère, rouverte maintenant et qu’elle semblait vouloir faire sienne par le droit du chagrin. Où Madeleine avait pleuré jadis, Cécile pleurait aujourd’hui, et le pauvre grand-père aurait pu s’y tromper en surprenant parfois un jeune visage penché là-haut, derrière la fenêtre, dans le silence et l’accablement d’une douleur inavouée… Est-ce qu’elle allait mourir celle-là aussi ?… Pourquoi ?… Qu’est-ce qu’elle avait ?… Si