Aller au contenu

Page:Daudet - Jack, II.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se montrer en public avec son poëte, et de se montrer jolie comme elle l’était ce jour-là, le teint avivé par le froid piquant, emmitoufflée de ce luxe de l’hiver où la beauté de la femme prend l’aspect précieux, brillant, d’un bijou protégé par les ouates douillettes de l’écrin. Une femme du peuple, grande, robuste, qui montait la garde devant la porte, s’élança sur son passage :

— Madame, madame… Il faut venir tout de suite.

— Madame Bélisaire !… fit Charlotte en pâlissant.

— Votre enfant est bien malade… Il vous demande… Venez.

— Ah çà, mais c’est une persécution, dit d’Argenton. Laissez-nous passer… Si ce monsieur est malade, nous lui enverrons notre médecin.

— Il en a des médecins, et plus qu’il ne lui en faut, puisqu’il est à l’hôpital.

— À l’hôpital !

— Oui, c’est là qu’il est pour le moment ; mais pas pour longtemps, je vous en préviens… Si vous voulez le voir, il faut vous dépêcher.

— Venez, venez, Charlotte, c’est un affreux mensonge… Il y a quelque guet-apens là-dessous… disait le poëte en essayant de l’entraîner vers l’escalier.

— Madame, votre enfant va mourir… Ah ! Dieu de Dieu, qu’il y ait des mères comme ça !

Charlotte n’y tint plus :

— Conduisez-moi, dit-elle.

Et les deux femmes prirent leur course sur le quai,